Reconstitution du costume du Citoyen
1ère partie : les recherches
Le citoyen
Revenons sur cette aquarelle de Hippolyte Charles Napoléon Mortier, Duc de Trévise dont nous avons déjà fait une description détaillée dans l'article Un citoyen de 1848 que nous vous invitons vivement à lire avant de continuer la lecture du présent article.
Ci-contre, l'aquarelle de Mortier de Trévise nous dépeint un homme, dont les vêtements relèvent d'un certain "paradoxe" (comme décrit dans l'article Un citoyen de 1848)
Son attitude sûre de lui, jointe à la fierté de porter ce titre de citoyen, faisant de notre personnage un homme enfin libre depuis l'abolition de 1848, nous ont donné envie de procéder aux recherches nécessaires afin de reconstituer sa tenue pour notre première reconstitution historique.
Nous allons voir ensemble la nécessité de faire de nombreuses recherches au préalable pour procéder à la reconstitution d'un costume historique.
Bien entendu, notre équipe serait absolument ravie de pouvoir en discuter et échanger que ce soit par email via la page Contactez-nous ou via la page Facebook. Nous espérons avoir des retours de votre part très prochainement !
Les vêtements
La tenue de cet homme se compose de deux vêtements visibles :
- une chemise
- un pantalon
Le pantalon
Regardons en détail le pantalon que porte ce Monsieur
Si l'aquarelle ne nous permet pas de définir quel type d'étoffe est utilisée pour ce vêtement, nos recherches penchent vers de la toile de coton provenant de Pondichéry.
Notre article "Un mystère résolu" traite de ce commerce dont l'importance paraît impossible à cette époque, et pourtant !
La couleur est caractéristique des vêtements portés par les travailleurs de Le Coat de Kerveguen (grand propriétaire terrien du sud de l'île de la Réunion) car celui-ci leur donnait deux fois l'an 8 m de tissu teinté à l'indigo, afin qu'ils se vêtissent.
Ci-dessus, un medley de différentes aquarelles D'HASTREL Etienne Adolphe Martial, DUMAS Jean-Baptiste Louis de travailleurs dans leurs costumes de toile bleue.
Nous aurons l'occasion d'approfondir le sujet au fil de nos reconstitutions car ce tissu bleu revient sur beaucoup d'autres documents historiques, et concerne les personnes que nous souhaitons valoriser dans ce projet.
Ce pantalon me paraît très simple et confortable.
Simple, car les personnes recevant les tissus n'étaient certainement pas de grands couturier.ères (sauf personnes spécialisées au sein de la communauté) Ce devait être facile à créer, et facile à recréer car dû au travail quotidien physique en résultait une détérioration rapide de ces vêtements. Nous n'en avons plus à ce jour certainement à cause de cette détérioration rapide...
J'utilise le mot "confortable" car l'amplitude du pantalon au niveau des cuisses et des mollets suggère une circulation de l'air plus aisée et surtout une facilité de mouvement, utile à sa condition de travailleur.
Je partirai donc sur une reconstitution à base d'un pantalon à coupe droite simple.
Tout vêtement de l'époque du 19ème siècle recouvrait le corps, même au niveau des chevilles, que ce soit pour la mode masculine et féminine d'ailleurs.
Ci-dessus des exemples de photographies de EYCKERMANS Albert Jean Leopold, gracieusement partagées par son descendant EYCKERMANS Peter, et une gravure de ROUSSIN Louis Antoine
Ici, nous pouvons voir que la toile s'arrête au-dessus de la cheville : pourquoi donc ? Et bien nous supposons que cela permettait de moins salir le bas du pantalon, voire même de moins l'abîmer.
Il existait des techniques de pose de bandes de tissu à l'ourlet le plus bas du vêtement qui, une fois posée protégeait le tissu principal, et qui une fois trop abîmée, était changée. Cela supposait cependant de prendre le temps de le faire, et d'avoir suffisamment de tissu pour en changer.
On pourrait également imaginer d'autres raisons telles que : pour avoir moins chaud, ou parce qu'il n'y avait plus assez de longueur au tissu pour aller jusqu'à la cheville, mais vous pourrez constater au fil de nos reconstitutions que la plupart des travailleurs présentent ce même détail.
Au niveau de la taille, l'aquarelle ne nous montre malheureusement pas beaucoup de détails.
Etant donné le coût des boutons, ou des crochets à cette époque, mais aussi connaissant la création tardive de fermeture éclair efficace et de la bande élastiquée (datant tous deux de la fin du 19ème siècle), le plus simple et le moins coûteux était de glisser une cordelette ou un morceau de tissu dans une ganse au niveau de la taille.
Il existe encore ce type de fermeture sur certains pantalons, permettant à la personne qui le porte d'ajuster la largeur au niveau de la taille. Plutôt pratique si vous avez mangé un bon cari par exemple !
Nous partirons donc sur un système de cordelette nouée à la taille afin de faire tenir le pantalon à la taille de notre mannequin.
Afin de pouvoir bouger nos jambes de manière plus aisée, sans déchirer le tissu ni être contraint.e dans nos mouvements, il y a une courbe importante à appliquer à l'avant et à l'arrière du pantalon (marquée en jaune dans le schéma ci-dessous, provenant du site Stiff Collar) : la fourche.
La fourche est ce que vous voyez lorsque vous regardez dans un pantalon, là où les coutures se croisent au niveau de l'entrejambe.
Cette fourche est totalement invisible sur notre illustration car le Citoyen a ses chaussures positionnées juste devant : il nous est impossible de savoir si la fourche a beaucoup d'ampleur ou si elle est proche du corps.
J'opterai pour une fourche basique avec une partie entre les james ample, car cela correspond au style ample du reste du pantalon.
L'aquarelle a beau montrer une ombre sur les hanches de notre Citoyen, je n'y vois malheureusement pas l'ouverture d'une poche...
De plus, créer une poche était coûteux en tissu : on pouvait utiliser des chutes de tissu mais cela demandait bien sûr plus de travail.
L'ajout d'une poche peut également fragiliser la couture extérieure du pantalon, et pour éviter cela il faut solidifier les coutures les plus soumises à la déformation, ce qui demande...plus de fil ! Et de travail...
Ce détail de poche ci-dessus est un bel exemple de possibilités de points pour solidifier les coins des poches. En effet, souvent soumis à des frictions, les coins des poches seront les premières parties à s'abîmer. Le costume de la marine Japonaise dont provient la photo date de la deuxième moitié du 20ème siècle, vu lors de la Visite au Musée Royal de l'Armée et de l'Histoire Militaire (mais non documenté car trop tardif par rapport à notre projet)
La chemise
Si le pantalon nous laisse émettre des hypothèses, la chemise elle ne nous laisse pas le droit à l'erreur.
Il existe deux possibilités de provenance de cette chemise :
- soit il l'a achetée, car en effet Le Coat de Kerveguen avait son propre magasin à Saint-Pierre, où il vendait de nombreux tissus et toiles. Des boutiques annexes étaient installées à proximité des usines, ravitaillées en partie avec les produits vendus par Kerveguen lui-même (il n'y a pas de petits profits!), et tenues par des indiens ou des chinois.
- soit il l'a obtenue de son employeur afin que notre Citoyen soit bien habillé pour travailler à son service par exemple.
Dans tous les cas, je vous propose que nous regardions en détail cette chemise et les tendances existantes de l'époque précédant l'illustration (datant je le rappelle de 1865)
A l'époque, différentes étoffes telles que le coton, la soie, le lin, etc. étaient utilisées.
Ceci dit, étant donné la popularité des chemises amidonnées, le coton était privilégié car supportait mieux ce traitement répétitif, contrairement au lin voire même à la soie, plus délicate. Celle-ci était privilégiée pour les cravates par exemple, ou encore les doublures de veste.
Je privilégierai le coton pour cette chemise, car c'était le matériau le plus courant dans la confection des chemises, et plus particulièrement de la baptiste de coton, fine, légère et qui est toujours utilisée dans la confection de nos chemises modernes.
Encore un mystère...
Sur l'aquarelle on remarque bien un trait (plus ou moins) parallèle allant du cou jusqu'à la taille.
MAIS...si j'en crois les documents concernant les chemises du 19ème siècle, les boutonnières s'arrêtaient au niveau de la poitrine afin que les boutons ne gênent pas lorsque le veston était fermé. L'illustration ci-dessous de 1834 montre bien cette particularité avec le port de la veste et leurs différentes ouvertures.
Crédits : The New York Public Library Digital Collections
Voyez comme la boutonnière s'arrête au niveau de la poitrine sur ce document datant de 1882
Le brevet de la chemise boutonnée du col jusqu'en bas du vêtement est posé en 1871 par la maison Brown, Davis & Co ! (voir la partie "l'influence de la Révolution Industrielle") Notre illustration du citoyen date de 1865, et la chemise cédée est certainement d'une mode déjà antérieure.
Ce trait de crayon me laisse perplexe, et malgré toutes les recherches, je n'ai pas pu trouver de boutonnière allant jusqu'en bas de la chemise sur un vêtement tel que celui-ci.
Les différents patrons de "reconstitutionnistes" tels que celui qui sera utilisé ont des boutonnières s'arrêtant au niveau de la poitrine, c'est donc ce qui sera fait sur la reconstitution de cette tenue.
Sur l'illustration on peut voir un col tel que nous les connaissons aujourd'hui.
Si la mode était à des cols fort droits durant le règne de Napoléon III, ce style a fini par changer dès le début du 19ème siècle notamment grâce à la création de la Maison Charvet en 1838 (Louise Charvet était la lingère de Napoléon à partir de 1813, tout est lié !)
Sur cette illustration (d'auteur inconnu, publié dans Le Follet, à Paris, en novembre 1839) y sont représentées des hommes portant des chemises Charvet, dont une avec un col "retourné" (entourée en bleu) semblable à ceux que nous voyons de nos jours. C'est l'envie de changement et de nouvelles modes une fois le règle de Napoléon III achevé, qui pousse les marques à créer de nouveaux styles.
Notre citoyen semble porter un col similaire, mais non amidonné, ce qui expliquerait la forme un peu "approximative" comparée au cols bien droits, parfaitement amidonnés et bien définis de la classe bourgeoise qui peut payer une lingère pour s'occuper d'amidonner les cols et manchettes.
Il aurait aussi pu enlever le col, car depuis 1827 un brevet a été déposé aux Etats-Unis afin de permettre aux lingères/épouses de laver le col sans avoir à laver l'intégralité de la chemise. Les cols ainsi que les manchettes sont donc prévues pour être facilement enlevés et amidonnés. Peut-être que sa chemise n'est pas pourvue de ce style de système...impossible à savoir...
La chemise sera donc ajourée avec un col "retombant" mais non amidonné, comme le suggère l'aquarelle
Les chemises étaient effectivement plus amples car utilisées comme sous-vêtement.
Mais au 19ème siècle, les documents attestent d'un changement, notamment avec la création de la Maison Charvet (mentionnée dans la partie sur le col) : les chemises sont des vêtements vus par les autres, et pour correspondre à la silhouette populaire en ce temps, celle-ci doit être plus proche du corps.
La demande pour des chemises "sur-mesure" est plus importante, et des techniques de tailleur et des "patrons" avec des courbes se développent pour arriver à ce que nous connaissons aujourd'hui.
Le citoyen porte sa chemise sans plus d'atours, et celle-ci semble être particulièrement ample. Sans doute que la personne qui la portait et qui lui a cédé était plus corpulente, ou plus grande.
La chemise sera donc taillée plus grande que le mannequin pour reproduire ce détail.
Les accessoires
Si la chemise et le pantalon ont demandé des recherches car ceux-ci doivent être tracés, coupés, cousus et portés, les accessoires eux existent déjà et demandent "simplement" à être trouvés.
Listons ici rapidement ce qui va être mobilisé pour le futur shooting avec notre aimable mannequin.
-
Le chapeau
un haut-de-formeTrouvé en seconde main, ce haut-de-forme "claque" se rétracte par un ingénieux mécanisme. La brillance du tissu nous a fait penser à celle visible sur le chapeau du citoyen
-
Les souliers
Achetés en seconde main également, ils sont en cuir noir et malgré une originalité supplémentaire (le style texture en diamant sur le corps de la chaussure) par rapport à l'image, ils correspondaient fort au style des souliers tenus par le Citoyen.
-
Le Bertel
Un Bertel est un sac à dos tressé en feuilles de Vacoa comme expliqué dans l'article Un citoyen de 1848. Si celui-ci est plus petit que celui sur l'illustration, il n'est pas aisé d'en trouver des plus grands (neufs ou en seconde main) car leur usage semble progressivement disparaître.
Prochainement
Alors que se passera-t-il dans les prochains jours, voire la prochaine semaine ?
Un deuxième article sera rédigé concernant la confection du pantalon et de la chemise, avec des explications supplémentaires.
Un troisième article sera mis en ligne avec le résultats des vêtements créés et des accessoires réunis, portés par un mannequin et gracieusement photographié par notre partenaire, le Studio Non Peut-être.
Nous espérons que cette reconstitution vous enthousiasme autant que nous! Nous serions vraiment enchantés de pouvoir en parler avec notre audience.
N'hésitez pas à venir en discuter sur notre page Facebook ou en nous envoyant vos remarques, suggestions, corrections, informations supplémentaires, etc. via notre page contactez-nous
Credits - courtoisies de : ©Iconothèque Historique de l'Océan Indien IHOI (Sauf mention contraire)