Reconstitution du costume du Citoyen
2ème partie : la confection
Le Citoyen
L'aquarelle ci-contre est le premier projet de reconstitution que nous avons choisi dans le cadre de notre projet.
Nous vous invitons à lire la description de celle-ci dans l'article Un citoyen de 1848 ainsi que les recherches préliminaires dans l'article Reconstitution du costume du Citoyen - 1ère partie : les recherches
Dans ce présent article, je vais aborder les différentes étapes de la "production" des vêtements de cet homme. Cela passe par :
- la sélection du tissu,
- par sa teinture,
- par le patronnage (design)
- et finalement la confection.
Bien que ce soit un travail assez spécifique, je vais m'efforcer de le rendre le plus compréhensible possible pour les non-initiés, et espère que cela suscitera de l'intérêt dans ce domaine si passionnant de la couture.
Les tissus
Dans l'article Reconstitution du costume du Citoyen - 1ère partie : les recherches il avait été abordé que la chemise serait en batiste de coton, et le pantalon en toile de coton. Des termes certainement un peu "barbares" mais qui désignent le type de tissage et donc le rendu du tissu (en terme de tombé, de transparence, de solidité, etc.)
Le pantalon
J'ai opté pour du Calicot (Le calicot est un tissu de coton grossier tissé en armure toile [...] En couture, de par son aspect grossier, de son faible coût et de son bon maintien, il peut notamment servir à la réalisation de patrons.)
En effet, après avoir commandé du coton bleu chez Les Coupons de Saint-Pierre (plus particulièrement, de la cretonne de coton et de la gabardine de coton) je trouvais que la trame était trop régulière et trop sophistiquée. Cela aurait rendu un travail particulièrement lisse et dénué de texture, similaire à la texture rendue par l'aquarelle.
Je n'ai malheureusement jamais eu de vêtements de travailleurs de cette époque en main, mais j'imagine que le tissage n'était pas parfait à cette époque, surtout s'il était destiné à des ouvriers. Le calicot présente des irrégularités et la trame est bien visible, sans pour autant être fragile, lui donnant un aspect brut et usé.
La chemise
Ayant profité de la commande de tissus chez Les Coupons de Saint-Pierre, j'en ai profité pour prendre des cotons blancs pour la chemise.
Les batistes disponibles n'étaient ni blanches ni unies, je me suis alors rabattue sur un coupon de popeline de coton de la catégorie Haute Couture. La popeline est très agréable à travailler et à porter, et est tout aussi adaptée à la confection de chemises que la batiste qui était plebiscitée lors des recherches.
Les Coupons de Saint-Pierre sont cités, mais nous ne sommes pas sponsorisés par ce magasin.
Le choix s'est (pour moi) naturellement porté sur cet e-shop car le fonctionnement d'achat de coupons de 3 mètres à des prix cassés est financièrement intéressant. D'autant que les vêtements produits restent des prototypes !
Si vous vouliez retrouver les mêmes tissus, je suis au regret de vous informer que leur stock change constamment au gré des arrivages de déstockage.
La teinture
Si la chemise devait rester blanche, le pantalon lui devait être bleu foncé. Vous avez pu constater dans la section précédente que le calicot était couleur écru : il a fallu le teindre.
Après plusieurs essais ratés (...) de teinture à l'indigo, je me suis rabattue sur une teinture industrielle. J'espère malgré tout pouvoir utiliser de la teinture naturelle à l'indigo pour les prochaines reconstitutions, voire de pouvoir trouver des toiles de coton déjà teintées à l'indigo.
Rien de particulier, sinon que je vous recommande de bien vérifier que TOUT le tissu soit bien humidifié avant de commencer la teinture, au risque d'avoir un résultat similaire au mien...
Les patrons
Avant de passer à l'étape confection, il faut passer par l'étape "patronnage" avec un patron. Celui-ci peut être créé par le.a styliste ou acheté dans une maison de couture.
Je ne suis malheureusement pas spécialisée dans la création de patron, et ai toujours recours à des patrons déjà prêts, que je peux légèrement modifier suivant le besoin. J'ai donc pris des patrons de deux maisons différentes pour cette reconstitution.
Il y en avait un sur Etsy qui correspondait à ce que je voulais faire pour la chemise : ce patron de chemise a été acheté chez Black Snail Patterns, envoyé et...n'est toujours pas arrivé...ce qui m'a amenée à improviser cette étape pour finir les vêtements à temps pour le shooting.
Heureusement que dans ma collection personnelle, j'ai déjà des patrons pour homme !
Je spécifie que notre projet n'est pas sponsorisé par les BG ni par Make my Lemonade. Mais les ayant testés, et les ayant surtout sous la main, il m'a paru plus facile d'avoir recours à ceux-ci.
La chemise
Patron chemise
Patron de chemise moderne, déjà approuvé par monsieur qui porte fièrement ses belles chemises sur-mesure
La chemise moderne telle que nous la connaissons a été progressivement façonnée par les besoins et exigences des personnes les portant. Ce qui signifie que la chemise de ce patron doit être modifiée :
-
La forme globale
En mesurant 1cm à partir de sous les aisselles (pour garder l'angle droit du patron déjà tracé. Cela paraît superflu pour les non-initiés, mais je vous assure que c'est vraiment important) j'ai tracé les coutures des sous-bras en ligne droite jusqu'à l'ourlet du bas.
En effet, les chemises "cintrées" (avec la taille plus marquée) sont des inventions modernes; notre chemise du 19ème siècle n'a que très peu de courbes.
L'ourlet du bas a d'ailleurs été modifié pour une ligne droite, au lieu d'une courbe qui remonte au niveau des hanches. Rien de bien sorcier jusque-là
-
La patte de boutonnage
Comme vu dans l'article Reconstitution du costume du Citoyen - 1ère partie : les recherches la patte de boutonnage ne va pas jusqu'en bas avant le dépôt de brevet en 1871. Il fallait donc l'arrêter au niveau du ventre. Heureusement que dans mes patrons, une de mes chemises préférées a cette caractéristique-là :
Bien que ça soit un patron pour femme, l'élément voulu était la patte de boutonnage dite "patte polo" dans ce patron. Si l'appellation est différente, le principe reste celui nécessaire à la confection de cette chemise. Une fusion de ces éléments a été effectuée sans trop de problèmes :
Je vous passe les détails techniques, mais en gros
- j'ai enlevé la patte de boutonnage du patron de chemise homme des BG
- j'ai aposé la patte polo de ma chemise femme Wear My Lemonade dessus
- en prenant soin de faire correspondre la ligne de col
- et surtout en ajoutant du tissu sous la patte de boutonnage pour que le tissu soit coupé sur le pli et donc n'ai aucune couture sur le devant (les deux traits parallèles en bas de la patte polo)
Quand je dis "sur le pli", cela signifie que le tissu est replié afin que le tissu ne soit pas coupé, comme cela :
Là où le tissu est replié, le patron est tenu par des petites pinces colorées. Cela fonctionne seulement sur les pièces symétriques.
Malheureusement, ajouter cette patte polo modifiait la longueur du pied de col...
-
L'empiècement
Mais pourquoi je parle d'empiècement alors qu'il n'y en a pas dans les chemises du 19ème siècle ? Parce qu'il a fallu l'enlever de mon patron de chemise moderne ...! On le voit sur l'aperçu du patron, dans le petit rond qui montre le dos : un pli et une couture; la couture représente un empiècement dos, et le pli est ce qu'on appelle un "pli d'aisance" afin de croiser les bras plus facilement.
"Facile" pensez-vous certainement. Et bien...oui, ça va encore.
En décalquant le dos (coupé sur le pli bien sûr, pour ne pas avoir de couture au milieu du dos) j'ai superposé le dos à l'empiècement en question (trait jaune) et ai obtenu une seule et même pièce.
Mais...mais...un décalage de 0,5cm était visible (tout en haut à gauche), il faut donc rajouter ce 0,5cm au pied de col...je me disais bien que c'était trop facile
-
Le pied de col
Le pied de col est la partie qui monte le long du cou et qui soutient le col (qui retombe en général) Lorsque vous portez ce qu'on appelle un "col mao" ce n'est qu'un pied de col finalement.
Modifications effectuées :
- la modification d'empiècement avait apporté 0,5cm de plus, donc 1cm au total puisque le tissu est coupé sur le pli.
J'ai écrit 0,5cm mais c'est bien 1cm qui est ajouté.
Et si cette petite mesure paraît dérisoire, elle ne l'est pas lorsqu'il s'agit de faire correspondre deux longueurs de tissus où il manque...1cm Je ne le modifie qu'en bas, car je ne voulais pas modifier la taille du col également...autant se simplifier la vie parfois :)
- l'ajout de la patte polo avait modifié la longueur du pied de col. Il a fallu l'agrandir en ajoutant 1cm de chaque côté du col
Petites interventions chirurgicales plus tard, le col a la bonne mesure, et correspond à l'encolure de la chemise. Une excellente chose faite !
Le pantalon
Patron pantalon
Patron de jean, utilisé principalement pour la forme globale
Tout comme la chemise, ce patron de jean est une forme moderne et sophistiquée grâce à l'ajout de détails, qui ne sont pas nécessaires pour notre reconstitution historique
-
Parties non modifiées
En tant que modiste amatrice, je ne touche pas à certaines parties de crainte de ne pas pouvoir en maîtriser le résultat final. C'est le cas de la fourche du pantalon.
La fourche est la partie où les 4 pièces du pantalon se rejoignent. C'est donc là où est notre entrejambe, et quoi de plus désagréable que d'avoir une fourche mal taillée ?
J'ai donc gardé la fourche du patron ainsi que toute la partie enveloppant le fessier et le devant telles quelles.
-
La poche
En effet, sur le patron on voit que la poche sur le devant est plus basse que la ceinture. C'est une superposition sophistiquée de différentes couches qui donne un bel effet mais, comme vu dans l'article Reconstitution du costume du Citoyen - 1ère partie : les recherches il n'y a pas de poche. Il faut donc effacer cette partie.
Rien de plus simple :
- en décalquant le devant
- en décalquant la poche
- en scotchant la poche là où elle devait être cousue
Hop ! Bonne hauteur au niveau de la ceinture et de la couture côté retrouvée.
J'aurais pu directement tracer la ligne mais je préférais reconstituer cette partie avec les éléments présents dans le patron.
-
Les jambes
Si sur le patron des BG, on voit que les jambes sont designées pour être fuselées, cela ne correspond pas à notre besoin.
Il a donc simplement été tracé du genou à la cheville, une ligne en angle droit avec la ligne de l'ourlet du bas
Cela a ajouté l'équivalent de 2 à 3 cm au niveau des chevilles, lui donnant un côté plus rudimentaire
-
La taille
Pour pouvoir être sûr que la fourche soit assez basse pour notre mannequin, et pour pouvoir faire une ganse de tissu pour resserrer le pantalon, j'ai ajouté 10cm au niveau de la taille. Je n'ai malheureusement pas pris de photo de cette modification.
Mais d'avoir ajouté suffisamment de tissu m'a permis d'ajouter un système rudimentaire de fermeture au pantalon : une ganse avec une boutonnière pour y faire passer la cordelette
Si la chemise comprenait beaucoup de pièces à monter ensemble, le pantalon était plus "basique" et donc plus facile.
Je ne dis pas qu'un pantalon est facile à coudre, regardez donc le patron et toutes les pièces nécessaires à la construction du vêtement (et la nécessité d'avoir une grande table !) :
Vous êtes perdus en regardant le patron déplié ? Alors regardons ce qui m'a été utile pour faire ce pantalon :
Pas besoin de poches, ni de ceintures, ni de fermetures éclair cachées. Tous ces détails ajoutent en complexité, mais aussi en practicité et en confort. Notre pantalon simple va à l'essentiel : un devant de jambe, et un dos de jambe
Toutes ces modifications peuvent paraître insignifiantes, mais lorsque les pièces font la même mesure et qu'il n'y a pas besoin de "tricher" en cousant les pièces ensemble, c'est plus agréable et surtout : le résultat est plus professionnel.
Avec ces modifications effectuées, il est temps de couper cette belle popeline blanche et ce calicot teint.
La découpe et la confection
Si les étapes de modifications de patrons sont intéressantes, celles de la découpe et de la couture des vêtements le sont moins car plutôt "banales". Peut-être qu'un timelapse serait effectué sur une prochaine reconstitution.
Je pense qu'il est pertinent de spécifier le temps sur chaque vêtement, afin de quantifier le travail effectué (patron, modifications, découpe et couture) :
- le pantalon a pris une journée à faire
- la chemise a pris un peu plus de deux journées
Et ce sans les modifications apportées le jour du shooting
A suivre...
Cet article faisant partie d'un triptique au sujet d'Un citoyen de 1848 vous avez lu la 2ème partie concernant la confection de ses vêtements.
Le shooting avec le résultat final sera bientôt finalisé, et j'écrirai un 3ème et dernier article à ce propos.
J'espère que les explications n'étaient pas trop complexes, et que même si vous n'êtes pas passionné.e de couture, cela vous aura piqué votre curiosité, et appris plus à propos de ce travail de patronnage, si laborieux, et pourtant si important !
N'hésitez pas à partager vos impressions et conseils via notre page Contactez-Nous ou sur notre page Facebook. J'adorerais partager à propos de l'histoire bien sûr, mais également à propos de couture et de patronnage, car j'ai encore beaucoup à apprendre en tant qu'amatrice.
En attendant, je vous laisse avec une petite vidéo ASMR de ciseaux découpant la toile de coton. J'aime beaucoup ce son, il me rappelle quand ma grand-mère cousait pour nous :)