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Elise, Lucie, et Tina

Analyse de trois jeunes filles en robe, dans trois illustrations d'Hippolyte Charles Napoléon Mortier, Duc de Trévise (que nous avons déjà présenté dans Un citoyen de 1848)


Hippolyte Charles Napoléon Mortier de Trévise, les a malicieusement dessinées entre 1861, et 1866, au moment où il séjourne dans l'Habitation de son beau-frère, Denis-André Le Coat de K/véguen, juste après son mariage avec Emma, riche héritière.

L'artiste, propriétaire foncier par ailleurs, et proche du cercle de courtisans autour de Napoléon III et de son épouse, Eugénie de Montijo, leur donne un petit air boudeur, qui n'est pas sans réalisme. Les demoiselles sont les petites-filles de Victorine, la " vieille" comme la surnomme l'auteur de ces croquis. Elles sont nées dans l'Habitation Le Coat de K/véguen, aux Casernes (Saint-Pierre de la Réunion), après l'abolition de l'esclavage, et font sans doute leur apprentissage de futures domestiques

Toutes trois portent le même modèle de robe, cousue sur le même patron, sans doute par une employée domestique de la famille. Peut-être leur mère? la fille de Victorine?

Le tissu semble être cette toile de guinée particulière que l'on nomme Guinguan : Elise et Lucie  portent la version à carreaux, et Tina, une version à pois ou une version en plumetis.

Tissu Guingan

 Toile de coton fine, originairement importée de l'Inde (définition cnrtl)

Tissu plumetis

 Étoffe légère brodée au plumetis (notamment de petits pois en relief) (définition de cnrtl)


Archives départementales de La réunion, 40 Fi 54

Elise

Archives départementales de La Réunion, 40 Fi 75

Lucie

Archives départementales de La Réunion, 40 Fi 74

La belle Tina

Ces trois portraits de petites filles sont conservés aux Archives départementales de La Réunion.


Les détails intéressants de la robe

La belle Tina

Empiècement

Un empiècement restangulaire, avec couture aux épaules, agrémenté d'un petit col volanté

Le corps de la robe

Le corps de la robe est très simple : un rectangle de la longueur désirée

Les manches

Evasées au niveau du poignet, resserrées avec un bouton


Si certains aspects vous paraissent particulièrement techniques, ne vous inquiétez pas : un article sera dédié à chaque vêtement reconstitué, où nous vous montrerons ces caractéristiques en image


L'empiècement

Un empiècement est définie comme étant : "Une pièce de tissu, taillée le plus souvent en forme, rapportée à la partie supérieure ou inférieure d'un vêtement ou d'un sous-vêtement afin d'en soutenir les fronces ou les plis" (définition du cnrtl)

L'illustration montre effectivement, très bien cette pièce de tissu, cousue aux épaules.

Cet empiècement est agrémenté d'un petit col volanté, ce qui facilite la couture. Car en effet, dans un vêtement "classique" la partie proche du col se double avec une parmenture, ce qui consomme alors plus de tissu puisque l'empiècement est coupé deux fois (empiècement intérieur, et empiècement extérieur) 

Un autre méthode de finition serait avec un biais, défini comme : bande de tissu coupé dans la diagonale d'un tissu par rapport à la direction des fils (cnrtl)

L'avantage du biais est qu'il donne une élasticité intéressante, facilitant la couture et étant plus agréable à porter. Mais...pour couper cette bande de tissu en diagonale, cela implique beaucoup de chutes de tissu...

Le corps de la robe

Il est vraisemblable que, par souci de simplicité et de rapidité d'exécution, le corsage et la jupe ne fassent qu'un seul élément : un rectangle.

Ce rectangle est ajusté à la largeur de l'empiècement par des fronces, tandis que l'ampleur est conservée pour la jupe.

Dans ce cas, la ceinture est rajoutée pour que l'ampleur de la robe ne gêne pas les mouvements.

Les manches

Les manches sont peut-être aussi un rectangle, (ou une pièce de tissu  légèrement évasée vers le haut), et ressérée au niveau du poignet par un petit morceau de tissu, fermées par un bouton.

Tant les manches que la longueur de robe sont mesurées pour ne gêner en rien les mouvements: les petites filles travaillent dans l'Habitation.

Les pieds

Comme beaucoup de travailleurs sur les propriétés de la Société Le Coat de K/véguen (par exemple dans le sud de l'île de La Réunion, l'Habitation-sucrerie des Casernes, à Saint-Pierre, ou dans les Hauts du Tampon, à Bel-Air, autre Habitation-sucrerie), les fillettes vont pieds nus.

Se chausser est un privilège de possédants : cela coûte cher.


Autres exemples de ce vêtement

Il est intéressant de souligner que ce type de robe n'existe pas seulement à l'époque que nous étudions, mais se retrouve sur des documents antérieurs et postérieurs.

Nous pouvons imaginer plusieurs explications à sa popularité :

- sa facilité à être cousue

- son confort pour les adultes s'occupant de l'enfant (notamment au niveau du changement des langes)

- son aisance pour l'enfant qui le porte (enfant dont le sexe n'a aucune importance comme le montre la sélection de photos du début du siècle de jeunes garçons ci-dessous)

    Cette pièce existe toujours de nos jours, mais on peut constater un glissement de genre : en effet, faire porter des robes ou des jupes au genre masculin étant moins bien vu, ce sont les jeunes filles qui ont récupéré cette pièce dans leur garde-robe, comme le montre la petite sélection ci-dessous


      En conclusion

      Les trois petites filles portent des robes communes pour cette époque, avec une simplicité de style qui a permis aux adultes de leur coudre un vêtement facilement et rapidement. Cela leur permet de travailler pour une famille en étant suffisamment élégante, sans être gênées par une coupe trop élaborée ou un excédent de tissu.

      Malgré leur air boudeur, elles sont peut-être mieux loties que les enfants des engagés, qui doivent aider aux champs, ou bien à l'usine, à peine vêtus de la sempiternelle toile bleue de Guinée. C'est le cas de ces "Négrillons", représentés dans les aquarelles de Jean-Baptiste Louis DUMAS, réalisée un peu plus tôt, en 1827.